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dimanche 24 février 2013
Pour Evelyne CHARPENTIER et Jean ANTONINI
... non
les mots
ne font pas l’amour
ils font l’absence
si je dis « eau », boirais-je ?
si je dis « pain », mangerais-je ?
ce soir dans ce monde
extraordinaire silence, que celui de cette nuit !
ce qui se passe avec l’âme est-ce qu’on ne la voit pas
ce qui se passe avec l’esprit est-ce qu’on ne le voit pas
d’où vient-elle cette conspiration d’invisibilités ?
aucun mot n’est visible...
Alejandra PIZARNIK (Ce soir, dans ce monde)
Poème trouvé et mis en ligne par Agnès SCHNELL
24.02.2013 8:33 PM
Les injonctions d'écriture me viennent désormais un peu plus fort de l'extérieur, elles prennent appui sur certaines circonstances ou procèdent , à mon insu, de soudaines apparitions.
Celle d’Evelyne par exemple, que je n’avais abordée que virtuellement jusqu’ici.
Mais elles ne coulent pas toutes en sources claires. Loin s’en faut.
Elles sinuent dans l'embarras banal des vies alentour. Ce sont ces vies de proximité agrippées par les soucis du siècle et les douleurs modernes. Celles où l'on dit couramment : - Il y a plus malheureux que lui ou qu'elle...
La plainte n'est pas stockable. C'est un fait. Elle prendrait trop de place.
Comment entre-t-on et sort-on dans la vie des gens ?
Par la porte ou la fenêtre ? Par la cheminée ou le câble ?
Sans rien faire de spécial ?
Simplement être là. Au bon moment, au bon endroit, dans une certaine disponibilité, une ouverture, une confiance non vérifiable a priori. Surprendre le risque.
Un chèque en bleu… devant la lampe.
Solder de tout compte par réflexe d’éloignement après un temps parfois
trop compassionnel. La fusion est toujours dangereuse.
En attendant, revoir la donne d’arrivée et de départ sans complaisance.
Revenir doucement à ce que l'Ami Jean me racontait hier, en soirée, à propos
d'écriture. Revenir à cette nécessité de faire une place un peu stable au plaisir
durable du lecteur.
Ce n'est pas simple. On ne lâche pas facilement les trouvailles,
cet or fallacieux des recherches dans l'intime, le sien ou celui des autres.
La psychologie n'a pas bonne presse, d’autant plus qu’elle s’insinue partout, sous le prétexte audacieux de santé publique pour apprendre aux « gens » à « gérer » leurs émotions, leur montrer comment ne pas les imposer à la grande mécanique de rendement et d’enrichissement sélectif planétaire. On peut facilement la récuser aujourd’hui, au nom de la génétique ou de la physique. Elle n’est pas résorbable.
Comme la poésie, elle empêche parfois de cerner maladivement l'image en 3 D du Réel. -Le Réel est un Monsieur disait un Médecin parlant d’un microbe…
La Poésie appartient à la 7° dimension, les trois précédentes ne sont pas d'emblée à portée de l'esprit.
Seuls les génies conceptuels et les fous peuvent anticiper de tels héritages.
Pour le commun des lecteurs, les eaux d'internet sont des évaporations intempestives muées en fossiles précoces.
Il suffit de se pencher sur l'écran pour trouver à chaque clic, le moulage d'une forme de présence elliptique involontairement incrustée dans la suspension des regards.
Le manque de rareté a sédimenté au fur et à mesure et couche après couche, le désir et la curiosité.
Le dictionnaire a maintenant un rival bien supérieur dans le registre de l’illimité , de « l’interminable » dirait Bernard Noël, avec son potentiel de métamorphose sans géomètre définitif ou attitré.
Le Délire est accessible à tous. 24/24.
Serge Tisseron prétend dans l’un de ses derniers livres, qu’internet peut remplacer la présence muette du psychanalyste conçu peut-être comme un mur de rebonds à l’épreuve de la neutralité parfois, ( Quoi qu’on en dise ou déduise...) contondante...
L’inconscient s’accommode de toutes les hypothèses, à l'instar des dieux de rescousse, il s’implique un peu à tort et à travers. Sa boussole est très magnétique mais imprévisible. Il est un furieux passe-muraille pour les idées trop compactes.
Si la psychanalyse a été débordée dans ses mythes fondateurs et ses dissidences, son déclin à mes yeux n’est que très relatif. La mode actuelle des coachs me paraît bien plus redoutable. N'importe quel bidouilleur d'influence peut visser sa plaque. La crédulité se commercialise à gogo. Le supposé savoir ne l’est plus. Eux savent à votre place ce qui est good for you, et ils vous recomposent des pieds à la tête au service de sa majesté l’apparence en toute conformité aux normes du marché.
Mais je divague là. Car je suis trop vieille et trop rebelle pour accepter le prêt à plaire et à penser.
Je ne peux m’empêcher de déplorer sans aucune once d'éploration toutefois, à la suite de cet auteur Lacanien dont j’ai perdu le nom, dénonçant le fait que « L’enfant à tout âge est appareillé d’une multitude d’appareils industriels qu’il a dans la poche, le coupant de la réalité, du jeu, de l’angoisse. Il devient insituable, inéducable, inenseignable. Sera-t-il analysable ?
Mais je ne suis peut-être pas aussi pessimiste. L’aigritude peut rider prématurément et il me faut garder le plus possible un sourire non grimaçant.
Celui de Jean et d’Evelyne me plaît.
La parole libre, on le sait maintenant, s'emmure elle -même en attendant la survenue de géologues inventifs qui ne prélèveront de toutes les façons, qu'une simple carotte, faute de pouvoir avaler toutes les montagnes ( Russes ou pas) et leurs soubassements secrets.
Enfants nous étions fascinés par le test du bleu de méthylène. Introduit dans une infractuosité de paysage, à la recherche d'un flux aux origines encore inconnues.
Il procurait ainsi un suspens jouissif et anxieux, s'agissant de savoir à quels endroits nouveaux, il pouvait rebleuir et révéler le parcours opportuniste d'une manne à préserver.
L'écriture procède pareillement, je le crois. C'est un peu de bleu chimique additionné à la patience.
Ma seule priorité maintenant est de mettre une petite idée vive devant l'autre et de les colorer avec l'humeur du moment. Dans la temporalité d’un haïku me conviendrait bien mais j’ai encore besoin de « gravité ». Le personnage de Jean voudrait s’en affranchir. Mais il est beaucoup plus sage que moi, et bien moins sérieux que je ne l’imaginais la première fois que je l’ai encontré.
Je n’oublierai pas la question que l'Ami se posait pour son personnage de livre.
Un bon haïku se mémorise bien a –t-il dit aux enfants à l’Atelier d’hier.
C’est un très bon principe je crois. Charles Juliet dit un peu la même chose, autrement. « J’écris mes poèmes en marchant »… « Le poème est un rapt »…
Une bonne phrase doit tenir dans une respiration normale, sans forçage, d’une façon naturelle, dans l’élégance la plus vive. Il y a de la félinité à retrouver dans toute écriture. Le mouvement trouve sa vérité dans sa simplicité et une intention loyale. Une émotion, une idée, un geste parfaitement ciblé et contemporain. C’est un art très difficile. Des brouillons et des ratures sont inévitables. Même pour Roland Barthes...
Les propos nourrissants de Jean m’ont fait penser après coup une histoire entendue dans la voix de Bernard Noël - je pense à lui beaucoup en ce moment- Il raconte quelque chose d’insolite à propos du Paradis Perdu d'Adam et d'Eve. La chute d’Adam et Eve n'a rien à voir avec un vol de pomme et la perversion d’un reptile.
C'est la tentative de s'emparer de l'arbre de la connaissance qui aurait déclenché la légendaire colère du Dieu ( Celui probablement très superstitieux de l'époque ). Ce n'est finalement pas un scoop. Les chasseurs de têtes existent bel et bien aujourd’hui.
Dieu aurait dû être beaucoup plus prudent et procédurier en prévention de la concurrence.
Quand on veut rester au gouvernement d'autrui, il faut donner quelques graines à planter dans leur jardin sans taxer leurs récoltes. Mais le souhaitait-il vraiment, en supposant qu'il ait un cerveau pour ce faire. La masochisme divin m’a toujours paru un peu suspect.
L'entonnoir des savoirs avale donc sans laisser respirer, et à longueur de siècles, toutes les certitudes. Avec les moyens vidéos, nous les conservons au frigo virtuel beaucoup plus longtemps. On a sans doute déjà inventé de nouveaux métiers du type Assistants Techniques au Purgatoire. Pour l’Enfer , il y a nettement moins de prétendants, quant au Paradis, les niveaux de compétences des candidats laissent à désirer.
L’entonnoir des connaissances à donc, on s’en aperçoit, un goulot plus petit. On met beaucoup de temps et d’énergie à laisser s'égoutter le nectar qui soigne la peur de souffrir et de disparaître. En guérit-on ? Rien n’est moins sûr…
Chacun doit fabriquer son alambic de fortune, après avoir consacré quelques éternités répétitives à repérer dans un silo de roches concassées, le bruit de promesse de vague , encore ténu que réactive toute parole un peu déferlante ,et qui nous rend sans cesse plus humides et vulnérables.
Il n’y a rien de plus sec que celui ou celle qui ne veut pas entendre…
La crainte d' être dépossédés ou noyés de lassitude est la première difficulté.
La complication est partout, elle est sans domicile fixe, il faudrait élaguer les branches du langage singulier avec des moyens beaucoup plus rapides et puissants, ou parvenir à supporter bien davantage les effets d'enchevêtrements. Car il est banal et légitime de vouloir extirper le sens dans les tensions bruyantes.
On prend un mot pour un autre, un être pour qui il n'est pas, on se targue mutuellement de chercher à suivre le flux de chaque voix, sans oser renoncer. Mais l'attention à chaque fois s'y épuise, et chacun boit ce qu'il peut sans filtrer suffisamment des caillots de dissemblance.
Pour parler d’Evelyne, je vais puiser dans le mirage devenu concret et plaisant.
Sans m’avertir à l’avance, elle est venue. Elle est restée dans l’anonymat jusqu’à un certain moment de notre soirée de lecture. Une jeune femme, sa fille, l’accompagnait. Les échanges trop courts et l’embrassade finale ont auguré une suite fructueuse. Il ne faut pas refuser ce qui vient même dans l’assurance d’une distance de points d’ancrage géographiquement contrariés.
Marie-Thérèse PEYRIN, Dimanche 24 Février 2013.
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